8.5.08

Le doux parfum de Gregor Schneider

ou l'art de l'angoisse. 
Doux parfum c'est un genre de train fantôme pour adulte, sans fête foraine, sans train, sans amis et avec beaucoup de portes.
{attention, les photos ne sont pas de moi, j'avais tout laissé mes appareils électroniques au vestiaire...}
Afin de me mettre tout de suite dans l'ambiance, et après avoir laissé mon sac à dos et autres biens personnels au vestiaire, le gardien d'expo m'ordonne de signer une décharge avant de pénétrer sur les lieux de l'installation que je viens voir. En gros j'accepte en signant d'y accéder à mes risques et périls... chouette. Tout incident -psychologique ou physique- qui interviendrait durant mes déplacements dans le parcours de Gregor Schneider (crise cardiaque, chute, traumatisme émotionnel...) relèvera de ma responsabilité. 
Et histoire d'en rajouter une petite couche, il me demande aussi si je ne suis pas claustrophobe.. "euh.. non...", et si j'ai peur du noir "bah...euh...", enfin il me conseille de garder au moins une main libre pendant ma "visite". Et puis il me montre la porte d'entrée que je devrais franchir seule, comme toutes les suivantes...
Je ne décrirai pas le parcours créé ici par Schneider. Parce que c'est tellement mieux de le vivre.. quand on sait pas ce qu'il y a derrière la porte. Parois, sons, odeurs, lumières? Ou pas. Et puis tout le reste, ce qu'on a dans la tête... Ce qu'on ne voit pourtant pas mais qui nous fait tellement flipper.

J'ai juste cru un moment que mon imagination pourrait avoir raison de moi et que je resterais enfermée là. trop peur d'avancer... mais impossible de reculer. Le noir m'a pétrifiée. 
Et, paraît-il que ce parcours est soft comparé à ceux que Schneider a déjà pu mettre en place auparavant, c'est le gardien qui me dit ça après que j'aie finalement trouvé la porte de sortie. Parce que parfois il faut ramper, escalader, etc. ce couillon travaille sur l'angoisse et pousse parfois le spectateur à dépasser ses limites physiques, tout ça dans des conditions de stress qu'il s'impose lui-même parce qu'il est tout seul dans une putain de maison trafiquée. Je suis donc bien contente qu'ici il se soit juste contenté de tester mes limites nerveuses. J'ai même crié à un moment juste pour tester (ouais ouais)... eh bah personne n'entend de l'extérieur. héhé.
Pour faire un parallèle parlant, je dirais, en guise de résumé, qu'en matière de cinéma il y a Michael Haneke et ses jeux marrants (voir plus bas), et qu'en art il y a dorénavant Gregor Schneider et ses douces installations. Deux maîtres de l'angoisse, plus flippant que n'importe quelle vision d'horreur. Parce qu'ici le pire c'est qu'il n'y a rien à voir. 
Et c'est ça qui est fort, nom d'un lama de la Pampa. Sans rien nous montrer, ils nous suggèrent le summum de l'inquiétude. La pire des tortures, celle qu'on s'inflige tout seul grâce à tous nos tiroirs dans la tête. 
Moi je dis, vive l'expérience en art, ça vaut toutes les performances pseudo trash, genre glauques et sanguinolantes ou scato ou crado tout ce que tu veux, à la Gina Pane etc., qui ponctuent le monde de l'art depuis les années 70. D'ailleurs pas plus loin que dans la même maison rouge on trouve une deuxième expo, celle de Pilar Albarracin, une Sévillane qui aime bien se faire saigner. Bah là ça fait ni chaud ni froid, on se dit juste qu'elle doit se faire mal.
Allez jvais prendre l'air.

Sophie Calle prend soin d'elle

Faire d'une rupture une œuvre d'art. Rendre publique une affaire plus qu'intime. C'est osé... tout le monde pourrait s'en foutre surtout, mais Sophie Calle se plaît à exacerber notre côté voyeur, d'une manière infiniment plus fine que celle de Jean-Luc Delarue. Elle puise son inspiration dans ses histoires amoureuses et ne s'en cache pas. Mais ce sont plutôt ses chagrins qui alimentent son travail. ça pourrait être super chiant! Parce que n'est-ce pas là le principe de base de l'inspiration artistique? La création comme exutoire, comme remède au cœur brisé.

Pour Prenez soin de vous, Sophie Calle a recruté une armada de 107 femmes, âge et activité professionnelle confondus, pour l'aider à interpréter ce message de rupture si ambigu que le fameux X. (ou G. pour les intimes...) lui a envoyé pour mettre fin à leur relation. Je suis restée 3 heures, vrai de vrai! Et pourtant j'aime pas l'art, ni les expos, ni les bibliothèques... euh nan, ça c'est faux ^_* 
C'est qu'ici il y a le cadre déjà, un lieu magique : une salle de lecture de la BNF Richelieu, vidée de ses livres. Et puis ce brouhaha quand on entre... plein de petites voix indiscernables, à la fois rassurantes et inquiètantes, les mêmes que celles qui nous parlent quand on se sent seul. La première impression est envoûtante, tout simplement. 
Le reste pourrait être un peu rébarbatif, mais il y a un truc qui fait qu'on a envie de tout lire, de tout voir, qu'on est curieuse de savoir ce qu'elles en pensent toutes ces dames du monde, psychologues, médecins, écrivain, graphologue, commissaire de police, journaliste, étudiante, etc. Parce qu'évidemment on se reconnaît toutes dans cette démarche de demander conseil à la gente féminine en cas de coup dur sentimental. Même si chaque histoire est différente. et chaque personne aussi. Et c'est là peut-être le reproche que j'aimerais faire, car c'est immanquable, dès qu'on parle de rupture à des femmes, les généralités fusent à un moment ou un autre. Christine Angot, l'une des 107 femmes, met d'ailleurs Sophie Calle en garde à ce sujet, et c'est la seule qui le fait... attention à ne pas toujours vouloir leur couper les couilles à nos pauvres hommes. Le tourment amoureux n'est pas réservé aux femmes. Le doute est mixte. D'ailleurs on dit "le doute m'habite" même quand on est une femme... Pardon pour les digressions un peu hasardeuses.
Ceci dit j'ai beaucoup aimé la remarque toute en délicate franchise de "l'ado" toujours à propos de X. : "il se la pète". C'est vrai qu'il se la raconte un peu avec ses phrases à la mords-moi l'nœud (ça s'écrit comment????).
Sinon, il est important de noter que la moitié (peut-être même plus) de ces 107 femmes sont des stars. Que du beau monde! Leurs réactions à la lecture de ce message de rupture sont filmées, parfois mises en scène. Souvent douteuses ou sans intérêt, certaines sortent malgré tout du lot... Laurie Anderson, Peaches, Feist, Poney P (chanteuse pétrochimique des George Leningrad), une chanteuse de tango, une clown et Victoria Abril... l'Espagne et le rock'n'roll ya qu'ça d'vrai!  Aux chiottes Arielle Dombasle, Elsa Zylberstein et Guesh Patti. Et grosse déception, Mireille Dumas, LA professionnelle de la vie privée, n'a pas été conviée à donner son avis! 

Ah oui, et pour l'anecdote, dans le chouette court-métrage de Laetitia Masson réalisé pour l'occasion, la voiture qu'on voit c'est celle de Sophie Calle. Je le sais parce que jlai vue en vrai...